Vêtir la famille
Vêtir la famille
Éloignées des magasins et ne disposant que de peu d’argent, les femmes misent sur leur créativité et leur habileté afin de vêtir leur famille.
Une chose est essentielle : réussir avec peu de moyens!
Pour les vêtements de tous les jours et même pour ceux d’événements spéciaux, la mère de famille se transforme en habile couturière. Elle coud ainsi des chemises, des blouses, des pantalons, des robes et des jupes. Le « matériel » utilisé est acheté au magasin général ou au « peddler » (marchand ambulant) ou tissé à la maison mais souvent les femmes défont des vêtements existants et retaillent les morceaux pour fabriquer un nouveau vêtement. Le paletot revit en joli manteau féminin, le veston de complet remodelé et cintré devient une veste de costume pour dame, une large jupe donne naissance à une blouse soyeuse… Les articles tricotés ou crochetés par ses soins complètent les tenues vestimentaires, les garnissent ou leur donnent un second souffle.
Dans le même esprit d’économie, la maîtresse de maison a aussi appris à blanchir les poches de fleur (farine) en coton et à les réutiliser. Entre ses mains, elles se changent en tabliers, en robes de nuit, en taies d’oreillers, en linges à vaisselle ou en essuie-mains… auxquels elle brode quelquefois de gracieux motifs.
La couturière d’antan est remarquablement inventive!
Les femmes fières restent fières même en situation de pauvreté. Elles s’ingénient donc à remanier les modèles des vêtements et de les mettre au goût du jour lorsqu’elles confectionnent du « linge » pour elle-même et leur progéniture.
Elles puisent leur inspiration des rares vêtements en magasin ou de ceux portés par les personnes les plus aisées du village. Elles observent attentivement les représentations vestimentaires sur les affiches, dans les catalogues ou les journaux et échangent des idées avec leurs voisines. À partir de là et de quelques patrons de base, elles élaborent dessins et gabarits, puis inventent de multiples variantes qu’elles cousent dans « du vieux » ou dans du neuf. Elles mixent les couleurs, les tissus ou les textures, varient les formes de collets, rallongent ou raccourcissent les manches, ajoutent des poches, des frisons, des boutons ou une petite dentelle afin de personnaliser le vêtement à réaliser.
Leur créativité se renouvelle à l’infini!
Une fois choisi le vêtement à réaliser, la couturière se met en action. La première étape consiste à effectuer la coupe s’il s’agit de « matériel » neuf mais souvent, il faut plutôt défaire un ou des vêtements qui ont été donnés ou qui ne sont plus utilisés. Les morceaux décousus, bien repassés sont retaillés pour le nouveau modèle ou la nouvelle grandeur. Ensuite, les plus habiles passent directement à l’assemblage au « moulin à coudre à pédale » que possèdent plusieurs foyers. D’autres préfèrent faufiler avant d’assembler ou le font pour certains patrons plus complexes ou délicats. Le mannequin ajustable leur faciliterait bien sûr la tâche mais il est rare que les épouses jouissent d’une telle aide.
La finition du vêtement se fait à la main. Placée près de la lampe à l’huile au début du siècle, sous l’unique ampoule électrique par la suite ou assise au bord d’une fenêtre, la couturière s’exécute. Dé au doigt, elle pique mille fois son aiguille pour fermer les collets ou les poignets, finir les bords de manches, de pantalons ou de jupes, faire les boutonnières et poser les boutons. Si elle dispose de temps et que le cœur lui en dit, quelques fantaisies peuvent s’ajouter, une applique, une broderie, un petit ruban…
Qui n’a pas entendu parler de ces doigts de fée!
À cette époque de familles nombreuses où le pain est l’aliment de base préparé et cuit à la maison, la ménagère utilise plusieurs poches de farine par année. En générale, la farine est contenue dans une poche de coton où le nom de la compagnie et son sigle sont étampés. La qualité du coton varie mais il est courant de lui trouver un usage selon sa texture. La toile plus grossière se transforme en linge à vaisselle, essuie-mains ou tablier, la plus fine peut devenir taie d’oreiller, robe de nuit ou jupon.
Savoir ce qu’on veut en faire est une chose mais rendre le coton utilisable en est une autre! Pour le débarrasser de la fine poussière de farine infiltrée, on secoue d’abord énergiquement les poches dehors, puis on les confie au vent sur la corde à linge… Ensuite reste à « effacer » les fameuses écritures surtout si on destine le coton aux vêtements ou aux taies d’oreiller! Un long trempage dans une solution d’eau et de « lessi »1 est une première étape… Comme ça peut pratiquement vous brulez les doigts, on y ajoute beaucoup d’eau au moment de les frotter sur la planche à laver avec le savon du pays. Plusieurs autres lavages et rinçages sont requis pour enlever les derniers résidus de farine et de « lettres »! Quand l’opération répond enfin à la satisfaction de la couturière, ses mains habiles s’activent à la confection.
Le leitmotiv de ses femmes courageuses devaient s’apparenter à « rien ne se perd » pour donner une importante deuxième vie à un emballage alimentaire!
1 Le lessi était un produit utilisé dans la fabrication du savon.